Le convoi de soldats blessés arrive en gare de Wassy … Secouristes et brancardiers se précipitent … Sur le quai, attendent le train, voyageurs en partance et négociants venus chercher ou envoyer des livraisons, côtoient ces malheureux aux bandages ensanglantés.

Dur, dur de se faire au milieu de cette effervescence. Interdite d’accès dès le carrefour avec la route de la digue, la gare est cependant noire de monde. Pour mimer cette scène évoquant un souvenir de 1917, incluse dans le scénario du film « Je m’appelle Victor » dont l’action se déroule vers la fin des années 1970, une bonne centaine de figurants costumés ont été engagés. Certains sont arrivés sur les coups de 4-5 heures du matin pour les nécessaires répétitions, séances d’habillage et de maquillage. Il y a là des infirmières, des estropiés de comédie, des chefs de gare et employés de train, des poilus plus ou moins handicapés, des bourgeois, mères de famille, gentes demoiselles, quelques enfants, des maraîchers, marchands de vin… et même un curé et un chien. Au milieu de tout ce petit monde très « guerre 14 » environné de balluchons, bagages d’époque, évolue une foule de gens résolument fin XX° : Personnels de régie, d’intendance, décorateurs, techniciens… Les hennissements épisodiques des deux étalons du haras de Montier-en-Der, des juments de M. Lataix, attelés à des carrioles, des chevaux de selle de M. Pillard de Planrupt renforcent cette impression initiale de totale confusion.

Les petits coins pour voir sans être vu et sans gêner ne sont pas légion. Un va et vient incessant de personnes, malles, échelles, et accessoires divers imposent de fréquents déplacements. Cependant, personne n’est agressif, ne semble stressé et les sourires arrangent les choses. A force d'observation, le déroulement de l’action s’avère moins cohérent qu’il n’y paraît. En fait, tout est parfaitement organisé : chacun a sa place, son rôle à jouer. Avec ses assistants, le réalisateur Guy Jacques dont c’est le premier long métrage, orchestre le déroulement des opérations. Les détails techniques sont longs à mettre au point mais les figurants attendent sans rechigner. Il faut parfois aussi patienter jusqu’à ce qu’un nuage veuille bien masquer les rayons du soleil… Qu’à cela ne tienne : on papote entre soi. La « roulante » de dix heures avec café et croissants fait diversion : « C’est mieux qu’à lourdes ! ». Une accessoiriste cherche partout un coude de tuyau de poêle … Enfin : « tout le monde en place … Silence on tourne … Moteur ! ». Avant que la scène ne soit déclarée bonne » il va falloir plusieurs prises de vues dont une déclenchera un solide coup de gueule de Guy Jacques. Une mobylette « sauvage », stationnée sur la place de la gare, est venue gâcher l’arrière plan soigneusement élaboré avec des attelages et voitures début de siècle. L’anachronisme était par trop flagrant. Le triomphant « ça y est ! » a tout de même retenti et, pour l’énième fois de la matinée, les agonisants se sont relevés, les invalides ont quitté leurs fauteuils roulants et les éclopés ont rendu leurs béquilles…

A la prochaine scène …

Jacqueline Lepage du Journal de la Haute-Marne.